Interprétation microbiologique et prise en charge des infections du pied diabétique

✑ Dr.Midireh.l


◉ Définition

Le terme « ulcère du pied diabétique » (DFU) est imprécis. Il décrit la présence d'une cassure de la peau du pied chez une personne diabétique, qui ne guérit pas rapidement. Les causes de la rupture cutanée sont multiples, et une fois que l'ulcère s'est développé, plusieurs facteurs empêchent sa guérison rapide. Ces causes varient d'une personne à l'autre et évoluent avec le temps.

Selon l'International Working Group on the Diabetic Foot (IWGDF), il s'agit d'une infection, ulcération ou destruction des tissus profonds du pied, associée à une neuropathie et/ou une artériopathie périphérique des membres inférieurs chez le diabétique.

Le traitement efficace d'un ulcère repose sur la compréhension par le clinicien des causes principales à un moment donné et le choix d'une stratégie de prise en charge appropriée.



◉ Classification du pied diabétique

Une grande variété de systèmes de classification a été développée, mais aucun n'a été universellement accepté. Une étude a évalué ces systèmes pour déterminer ceux à recommander selon les objectifs cliniques.

Au total, 37 classifications ont été identifiées, dont 18 ont été exclues après examen critique. Les recommandations incluent :

Classification du pied diabétique

Différents types de classification du pied diabétique

Grade Gravité Manifestations cliniques
1 Non infecté Absence de symptômes ou de signes généraux ou locaux d’infection
2 Infection légère Infection sans signes généraux touchant :
  • seulement la peau ou le tissu sous-cutané (sans atteinte des tissus plus profonds), et
  • en cas d’érythème, il doit s’étendre à moins de 2 cm autour de la plaie
3 Infection modérée Infection sans signes généraux :
  • avec un érythème s’étendant à ≥ 2 cm ou plus des bords de la plaie, et/ou
  • touchant les structures plus profondes que la peau et les tissus sous-cutanés (tendon, muscle, articulation, os)
4 Infection sévère Toute infection du pied avec manifestations générales associées,qui se manifeste par 2 ou plus des constatations suivantes : :
  • Température > 38 °C ou < 36 °C plaie, et/ou
  • Fréquence cardiaque > 90 battements/minute
  • Fréquence respiratoire > 20 cycles/min ou PaCO2 < 4,3 kPa (32 mmHg)
  • Numération des globules blancs > 12 000/mm3 ou < 4 000/mm3 ou présence de plus de 10 % de formes immatures

Tableau 1 : Classification IDSA / IWGDF

◉ Orientation diagnostic

Le diagnostic d'infection dans le cadre d’un pied diabétique repose sur une évaluation clinique rigoureuse, complétée par des données microbiologiques pour orienter le traitement.

Selon l'IWGDF, infection est suspectée en présence d’au moins deux des signes suivants :

Chez les patients présentant une neuropathie ou une ischémie avancée, les manifestations classiques d'infection peuvent être absentes ou discrètes. Dans ce contexte, il est utile de rechercher des signes indirects tels que :



◉ Prélèvements du pied diabétique

Le prélèvement bactériologique est une étape essentielle pour identifier les agents pathogènes impliqués dans l’infection et orienter le traitement. Cependant, il doit être réalisé dans des conditions optimales pour éviter les contaminations et améliorer la pertinence des résultats.

Indications du prélèvement

Les prélèvements sont indiqués en présence de signes cliniques d'infection (grade ≥2 selon la classification IDSA/IWGDF). En l’absence d’infection clinique, un prélèvement n’est pas recommandé, car il ne différencie pas colonisation et infection active.

Techniques de prélèvement

Les méthodes de prélevèrent s'adaptent à la nature des lésions:

1- Débridement du pied diabétique

Elle est indispensable au moyen d’une curette ou d’un scalpel stérile afin d’éliminer les parties molles nécrosées, les tissus dévitalisés et contaminés et les tissus fibreux pour ne laisser en place que du tissu sain et ainsi faciliter la cicatrisation.

Le débridement diminue la charge bactérienne locale et s’oppose aux conditions locales favorables à la prolifération bactérienne, à l’œdème d’origine inflammatoire et à ses effets délétères sur la perfusion tissulaire.

Débridement du pied diabétique

2- L'écouvillonnage superficiel de la plai


3- Curetage profond :

4- Biopsie tissulaire :

5- Aspiration à l’aiguille fine :

  • Indiquée en cas d'abcès ou d’infection des tissus profonds.
  • Permet de prélever des échantillons directement de la zone infectée tout en minimisant la contamination.
Aspiration à l’aiguille fine pied-diabétique

Témoignage de l'institut National de la santé et de la Recherche Médicale (Université de Montpellier)

Depuis 2003, nous avons progressivement modifié notre politique de prise en charge des patients atteints d’ulcère de pied diabétique dans notre hôpital universitaire. En ce qui concerne le prélèvement microbiologique, nous avons changé notre technique en utilisant un prélèvement de tissus profonds obtenu par biopsie ou curetage (grattage de la base de l'ulcère débridé après avoir nettoyé la plaie) au lieu d'un prélèvement superficiel (obtenu en faisant rouler un coton-tige sur la surface de la plaie). En conséquence, il y a eu une diminution frappante du nombre d'agents pathogènes par échantillon de 4,1 à 1,9. En parallèle, le taux de récupération des bacilles à Gram négatif a diminué régulièrement, reflétant l'augmentation du taux de cocci à Gram positif, De plus, le taux de prévalence des micro-organismes multirésistants (MDRO) a considérablement et régulièrement diminué, diminuant de moitié entre 2003 et 2007

intérêt d'un prélèvement adapté

6- Prélèvements à réaliser en cas d'ostéite aiguë

La biopsie osseuse est la méthode de référence pour le diagnostic microbiologique de l’ostéite aiguë chez les patients diabétiques. Elle permet d’obtenir un échantillon représentatif de l’os infecté.

La biopsie osseuse peut être obtenue :

  • Par un geste chirurgical.
  • Par ponction (trocart) percutanée radio- ou écho-guidée.
biopsie osseuse pied diabétique

Ce geste peut être réalisé sans anesthésie locale chez de nombreux patients du fait de la neuropathie sensitive. Plusieurs zones peuvent être prélevées.


Choix des prélèvements de pied-diabétique

Choix des prélèvements à effectuer en fonction du type de la plaie



◉ Pied diabétique au laboratoire

1. Culture des prélèvements

Les prélèvements doivent être transportés dans un milieu de transport approprié, tel que le milieu Amies, afin de préserver la viabilité des microorganismes jusqu’au traitement au laboratoire.

Pour les bactéries aérobies : Ensemencement sur différents milieux nutritifs, notamment :

Pour les bactéries anaérobies :

Les cultures sont incubées à environ 37 °C pendant une durée pouvant aller jusqu’à 7 jours.

Pour les Biopsie tissulaire ou osseuse, les fragments sont découpés et broyés, sous PSM-2, en présence de sérum physiologique stérile. Une culture anaérobie doit aussi être réalisée

pied-diabétique

Homogénéisation des tissus au scalpel stérile.

pied-diabétique

Homogénéisation des tissus au mortier et au pilon.

2. Interprétation des résultats microbiologiques

L’interprétation des résultats de culture dans le cadre du pied diabétique est une étape cruciale pour guider le traitement. Cependant, elle est souvent complexe et nécessite une approche méthodique, tenant compte de plusieurs facteurs.

Pour mieux interpréter les résultats de culture et fournir une thérapie antimicrobienne optimale, les cliniciens doivent être familiarisés avec les isolats microbiens dans leur propre région de pratique.

Il n'est pas facile de préciser la signification clinique des bactéries isolées. Il est clair pour les micro-organismes hautement virulents, tels que Streptococcus pyogenes, mais pas pour la plupart des autres espèces récupérées qui sont généralement des agents pathogènes opportunistes ou commensaux :

  1. Les infections ulcéreuses sont souvent polymicrobiennes et mixtes, impliquant des bactéries Gram positif (aéro-anaérobies facultatives et anaérobies), des bactéries Gram négatif et des levures comme Candida spp..
  2. Dans les infections récentes, les cultures révèlent le plus souvent un seul organisme pathogène, avec Staphylococcus aureus et diverses espèces de Streptococcus parmi les plus fréquemment isolés.
  3. Les infections superficielles, telles que l’érysipèle et la cellulite, sont principalement causées par des bactéries Gram positif, notamment les streptocoques bêta-hémolytiques des groupes A, B, C et G, ainsi que Staphylococcus aureus.
  4. Dans les infections à long terme, S. aureus et les streptocoques restent des agents pathogènes majeurs, bien que leur rôle diminue au fil du temps. Une augmentation des isolats de staphylocoques à coagulase négative (SCN), Enterococcus spp., bacilles Gram négatif (notamment Pseudomonas aeruginosa) et bactéries anaérobies est également observée.
  5. Les cas de fascite nécrosante et de gangrène impliquent fréquemment des cocci Gram positif, des entérobactéries, des bacilles Gram négatif non fermentatifs et des bactéries anaérobies.
  6. Selon le Journal of Vascular Surgery, les principales bactéries responsables des infections sont S. aureus (SARM et SASM) et les streptocoques. Un traitement ciblé sur ces agents pathogènes majeurs suffirait à éliminer les bactéries associées, introduisant ainsi le concept de « tête du serpent ». Ce concept suggère qu’en éliminant les cocci Gram positif (la tête du serpent), les bacilles Gram négatif et les anaérobies (le corps du serpent) seraient également neutralisés.
  7. En première intention, il est conseillé de ne pas cibler les germes moins virulents ou commensaux, tels que les staphylocoques à coagulase négative (SCN), les corynébactéries, Pseudomonas aeruginosa ou les entérocoques.
  8. Le rôle des entérocoques est controversé. Malgré leur résistance naturelle à l’ertapénem, une bonne réponse clinique a été observée chez les patients traités par cet antibiotique pour des infections impliquant ces bactéries.
  9. Pseudomonas aeruginosa, une bactérie produisant une couche muqueuse, est fréquemment isolée dans les ulcères chroniques à long terme. Les facteurs de risque incluent des conditions favorisant la macération et des traitements antimicrobiens récents. Son rôle pathogène reste incertain, car les patients répondent de manière similaire à des traitements par ertapénem ou pipéracilline-tazobactam.
  10. Chez un pourcentage significatif de patients, diverses espèces de Corynebacterium sont isolées. Longtemps considérées comme peu pathogènes, des études récentes suggèrent qu’elles jouent un rôle important dans le biofilm caractéristique des infections chroniques du pied diabétique. Ces bactéries doivent être prises en considération si elles sont isolées à plusieurs reprises ou en cas de doute clinique, notamment en présence d’un état septique.
pied-diabétique

Type de plaie du pied Pathogènes
• Plaie superficielle récente sans antibiothérapie récente • Streptocoques β-hémolytiques
• Staphylococcus aureus
• Plaie chronique (≥ 1 mois)
• Plaie antérieurement traitée par antibiotiques
• Streptocoques β-hémolytiques
• Staphylococcus aureus
• Entérobactéries
• Plaie traitée par des céphalosporines d’évolution défavorable Entérocoques
• Lésion macérée Pseudomonas spp. (fréquemment en association avec d’autres bactéries)
• Plaie de longue durée (ulcère ≥ 6 mois),
• Traitement antérieur par des antibiotiques à large spectre
• Association de cocci à Gram positif aérobies (Staphylococcus aureus, streptocoques β- hémolytiques, staphylocoques à coagulase négative, entérocoques ), et de bacilles à Gram négatif ( entérobactéries, bacilles à Gram négatif non fermentatifs, Pseudomonas spp. ),
• ±corynébactéries, ±Candida spp.
• Odeur nauséabonde,
• Nécrose,
• Gangrène
• Cocci à Gram positif aérobies,
Entérobactéries,,
• Bacilles à Gram négatif non fermentatifs, Pseudomonas spp.,,
Anaérobies stricts

Corrélations et Orientation clinico-bactériologiques "Source : SPECTRA BIOLOGIE"



◉ Conclusion

L'interprétation microbiologique et la prise en charge des infections du pied diabétique nécessitent une approche multidisciplinaire et rigoureuse. Le diagnostic microbiologique joue un rôle crucial dans l'orientation thérapeutique, permettant de cibler les agents pathogènes responsables des infections et d’adapter les traitements en conséquence.

Sources

  1. - Recommandations de l’IWGDF sur la prévention et la prise en charge du pied diabétique, édition de 2019
  2. JOURNAL OF WOUND CARE : Classification, microbiology and treatment of diabetic foot infections
  3. Rev Esp Quimioter : Documento de consenso sobre el tratamiento de las infecciones en el pie del diabético
  4. THÈSE : Profil bactériologique et fréquence de résistance aux antibiotiques de l’infection du pied diabétique
  5. The International Journal of Lower Extremity Wounds : Diabetic Foot Infection: Causative Pathogens and Empiric Antibiotherapy Considerations
  6. The Diabetic Foot Medical and Surgical Management Fourth Edition
  7. Beneficial effects of implementing guidelines on microbiology and costs of infected diabetic foot ulcers
  8. Review of methods to diagnose infection in diabetic foot ulcers •S. O’Meara et al.
  9. SPECTRA BIOLOGIE : Recommandations pour la bonne pratique du prélèvement microbiologique dans les infections cutanées et osseuses : à propos du pied diabétique
  10. Isabelle GOT Diabétologie, maladies métaboliques, nutrition CHRU NANCY
  11. Mémoire : Profil de résistance des bactéries associées à l’infection du pied diabétique au niveau de l’Hôpital Militaire Régional Universitaire de Constantine (HMRUC)
  12. Guidelines on the diagnosis and treatment of foot infection in persons with diabetes (IWGDF 2019 update)
  13. Pied diabétique: ce n’est pas le pied !,Point de vue d’un diabétologue et d’un infectiologue
  14. SVS : Medical therapy of diabetic foot infections
  15. Journal of Antimicrobial Chemotherapy : Ertapenem versus piperacillin/tazobactam for diabetic foot infections in China
  16. Rémic 2015 - Référentiel en microbiologie médicale
  17. Clinical Microbiology Procedures Handbook 2016